Featured People: Fatin Farhat - version française

Read this interview in English

Tout au long de l’automne, ECF met en avant la recherche autour de la politique culturelle et de l'activisme dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). À travers une série d’entretiens pertinents, ECF présente le travail des chercheurs et des activistes qui ont contribué à la base de donnée internationale de politique culturelle : World CP –International Cultural Policy Database.

Depuis qu'il a été mis en place en 2015 par la Fédération des Conseils des Arts et des Agences Culturelles (FICAAC) - International Federation of Arts Councils and Culture Agencies (IFACCA), World CP est devenu une base de données et un outil de mesure incroyablement utile, central et continuellement mis à jour, comprenant les profils spécifiques des politiques culturelles de pays provenant du monde entier. 


Il est grand temps que le Ministère de la Culture lance un véritable processus de dialogue entre toutes les parties prenantes et cherche des solutions collectives et créatives.

Dans ce second entretien de notre série, nous discutons avec Fatin Farhat (Palestine) – contributrice à la base de donnée World CP et une figure clé de la culture dans la région MENA, au sujet de son travail, de ses ambitions, des défis auxquels elle fait face ainsi que de sa vision de la politique culturelle comme un processus collaboratif qui peut aider à tisser de nouveaux partenariats en Palestine. 

Fatin Farhat, PhD, est chercheuse en politique culturelle à l'Université de Hildesheim en Allemagne. Fatin a été active dans le secteur culturel en Palestine comme fondatrice et associée de l'Observatoire des politiques culturelles de Palestine (Groupe de travail sur la politique culturelle, Palestine). Elle a tenu le rôle d'expert pour Med Culture au sujet de la politique culturelle (2015-2016) et est membre de la banque d'experts de l'UNESCO (2015-2017) sur la Convention de 2005 (protection et promotion de la diversité des expressions culturelles).

Pour plus de renseignements sur les politiques culturelles dans la région MENA, en arabe et en anglais, visitez www.arabcp.org

Fatin Farhat, Membre du groupe de travail national sur la politique culturelle, Palestine


Fatin, quelle est la mission essentielle du groupe de travail national sur la politique culturelle en Palestine?

Notre groupe de travail a été formé il y a quatre ans, suite à la conférence des politiques culturelles qui a été organisée par Culture Resource (Al Mawred Al Thaqafy) au Caire. Deux ans auparavant, j'étais personnellement impliquée dans le premier projet de politique culturelle initié par Al Mawred.

Le projet visait à cartographier la politique culturelle et les paysages culturels dans les différents pays arabes et j'étais extrêmement chanceuse d'avoir été choisie pour réaliser la cartographie culturelle de la Palestine. Bien sûr, cela a été une expérience enrichissante et a marqué ma première intervention professionnelle directe dans la politique culturelle. C'est arrivé au moment où je commençais mon nouveau travail en tant que directrice de l'unité culturelle de la municipalité de Ramallah. Ce travail a marqué un véritable tournant : il a mis en évidence le rôle potentiel des municipalités et des villes en Palestine dans le développement culturel. Ce chevauchement entre mon emploi principal et le programme de politique culturelle a conduit à une prise de conscience sérieuse et pratique du rôle que les politiques culturelles pouvait jouer dans le développement du secteur culturel palestinien. La politique culturelle peut aussi jouer un rôle clé dans l'enrichissement de la scène artistique dans les différents lieux où les Palestiniens sont dispersés dû à l'occupation israélienne de leur patrie - la diaspora, en exil et sur les terres établies en 1948, ainsi qu'en invitant de nouveaux acteurs sur la scène : donnant la capacité aux autres, tissant de nouveaux partenariats et alliances, et en attribuant de nouveaux rôles, de nouvelles responsabilités et mandats.

Il y a quelques années, lorsque le groupe a été formé, nous nous sommes engagés dans de longues et profondes discussions, ainsi que dans des consultations et délibérations internes sur la forme que notre initiative devrait prendre. Bien qu'initialement nous avions opté d'inscrire l'initiative comme une organisation non gouvernementale (forme juridique commune pour le fonctionnement du secteur culturel indépendant en Palestine), nous avons finalement décidé de maintenir notre « forme non formelle ». Cela est principalement dû à la présente « fatigue » du mouvement civique en Palestine et aussi parce que nous voulions proposer une autre forme « non institutionnelle » de fonctionnement. Notre rôle a changé : d'exécutant de projets nous sommes devenu un groupe de défense visant à encourager toutes les parties prenantes à prendre en compte les questions listées ci-dessous, dans leurs stratégies, plans et programmes - indépendamment au sein de leurs institutions, et collectivement avec les autres :

  • Motiver les parties prenantes dans divers secteurs publics et privés afin de tourner la priorité au développement culturel et artistique au niveau national. En d'autres termes : développer les stratégies culturelles nationales déjà élitistes et appeler à ce qu'elles soient effectivement mises en œuvre, suivies et évaluées.
  • Construire une base de connaissances afin de soutenir la planification et l'investissement culturel en Palestine, et la rendre accessible aux chercheurs et aux universitaires.
  • Proposer des mécanismes administratifs et législatifs qui développeraient le travail culturel en Palestine, et qui amélioreraient les conditions de la mise en œuvre des politiques culturelles.
  • Défendre le droit de la culture palestinienne et de sa présence dans les médias publics et privés en Palestine.
  • Développer les domaines suivants: culture/médias culturels/industrie culturelle/gestion culturelle, en raison de leur rôle actuel dans la promotion culturelle.
El-Funoun troupe in Al Bireh Festival 2016 © Nidaa Katamesh

El-Funoun troupe in Al Bireh Festival 2016 © Nidaa Katamesh

Quels défis rencontrez-vous dans le domaine de la politique culturelle dans votre pays ?

Au niveau politique, l'Etat de Palestine a déjà produit trois stratégies culturelles nationales depuis son établissement institutionnel moderne. Ces stratégies varient dans le contenu, la méthodologie et l'impact. En 2004, le Conseil supérieur de l'éducation et de la culture (PLO) a développé le plan stratégique national pour la culture palestinienne, en coordination avec le Ministère de la Culture. En 2010, le Ministère a complété le plan stratégique pour le secteur culturel 2011-2013.

La stratégie culturelle a été caractérisée par l'exhaustivité et une approche informée. Elle a couvert tous les secteurs, définissant la culture au sens le plus large. La participation au processus de préparation ne s'est pas limitée au Ministère de la Culture comme organisme officiel. Au contraire, ce processus a inclus d'autres organisations et organismes qui sont actifs dans les domaines artistiques et culturels. Enfin, le Ministère de la Culture a également supervisé la production de la stratégie culturelle nationale pour les années 2014-2016, et les travaux sont en cours pour proposer une méthodologie pour l'élaboration de la politique culturelle nationale 2017-2022.

Les trois stratégies mentionnées ci-dessus ont été réalisées avec divers degrés de consultation au sein du secteur indépendant et, dans leur littérature au moins, reconnaissent le rôle joué par le secteur culturel palestinien indépendant dans le développement culturel global du pays. Cependant, les mécanismes de mise en œuvre pratique des cadres stratégiques restent absents après toutes ces années de travail sur l'institutionnalisation de la politique publique culturelle. Le manque d'outils pour mettre en œuvre la stratégie culturelle palestinienne a provoqué une « dichotomie » entre la littérature officiellement approuvée et les politiques de facto mises en forme et en œuvre sur le terrain. Les stratégies culturelles approuvées identifient le Ministère de la Culture en tant que point de référence, bien que dans la réalité, les décideurs politiques culturels en Palestine sont ceux détenant le capital (organisations internationales et fondations locales) et les créateurs (les secteurs indépendants). Malheureusement, la communication et le dialogue entre les deux est loin d'être suffisant, ni même avec le secteur culturel public en général.

Palestine International Festival 2016 © Sami Jaradat

Palestine International Festival 2016 © Sami Jaradat

Comment votre groupe de travail national fonctionne-t-il avec les acteurs culturels dans votre pays et dans la région MENA ? Comment leurs besoins diffèrent-ils des autres acteurs culturels dans le monde ?

Notre travail au sein de la Palestine est principalement avec le secteur indépendant, le Ministère de la Culture, les municipalités et le Bureau UNESCO à Ramallah. Nous avons engagé un dialogue non seulement avec notre initiative de cartographie, mais aussi avec notre travail continu à construire notre base de données des organisations culturelles en Palestine. Nous n'avons toujours pas travaillé sur la diaspora palestinienne et sur l'exil. Nous ne disposons pas encore des capacités pour cela, nous encourageons donc les autres organisations à continuer de compiler ces informations. Nous ne nous soucions pas vraiment de qui fait le travail du moment que cela est bien fait et mis à jour en permanence.

Nous sommes également activement impliqués avec le Ministère de la Culture et l'UNESCO dans l'élaboration de la stratégie nationale 2016-2022 pour la culture. Nous avons une série de débats et d'ateliers qui sont organisés pour focaliser l'attention sur certains programmes de politique culturelle, et pour motiver certaines organisations à adopter des programmes qui peuvent aider. Nous travaillons également avec les jeunes chercheurs pour assurer la concentration sur les domaines prioritaires, un premier pas vers la participation. Au niveau régional, nos principaux partenaires sont le programme Med Culture et Al Mawred Al Thaqafy. Nous espérons travailler de plus en plus avec le groupe de politique culturelle en Jordanie en raison des chevauchements politiques et démographiques entre la Palestine et la Jordanie.

El-Funoun troupe in Al Bireh Festival 2016 © Nidaa Katamesh

El-Funoun troupe in Al Bireh Festival 2016 © Nidaa Katamesh

Quelles sont les connexions les plus importantes que vous avez construites, et les collaborations sur lesquelles vous avez travaillé avec les pays européens ? Quel est leur impact dans la région ?

Malheureusement, la seule connexion que nous avons établie jusqu'à présent en Europe est avec le programme Med Culture. Nous faisons partie de l'équipe nationale Med Culture pour la politique culturelle et nous tentons de bénéficier de tous leurs programmes de renforcement des capacités pour fournir les outils nécessaires à notre équipe du groupe de travail.

Quels sont les programmes et les domaines d'expertise les plus importants de votre groupe de travail national ? Comment créez-vous un impact dans votre pays et dans la région ? Quels programmes vous sont le plus chers, et desquels êtes-vous personnellement la plus fière ?

Le programme le plus important de notre groupe de travail national est en ce moment en cours. Il s'agit d'un programme qui vise à créer une campagne de lobbying pour l'attribution de subventions plus publiques et semi-publiques pour la culture en Palestine. Le Ministère de la Culture ne reçoit actuellement que 0,003% du budget national total. Le financement étranger pour le secteur culturel en Palestine diminue à mesure que la situation politique dans les pays voisins, post printemps arabe, ont un impact sur la Palestine en général. Ceci est particulièrement le cas pour le secteur créatif indépendant palestinien, puisque les priorités régionales et internationales ont changé. À la fin de l'année, nous espérons présenter un document approuvé par les principaux acteurs/organisations culturels au Cabinet palestinien, demandant des budgets plus importants et proposant des interventions et des mécanismes à ce sujet.

Palestine International Festival 2016 © Ahmed Oudeh

Palestine International Festival 2016 © Ahmed Oudeh

Culture Resource travaille sur les contributions arabes à la base de donnée mondiale World CP – International Cultural Policy Database. Qu'espérez-vous réaliser avec votre travail sur le long terme ?

Notre but ultime est, bien sûr, de travailler avec toutes les parties prenantes afin que les priorités nationales dans le secteur culturel soient examinées et considérées collectivement (et également mises en œuvre, évaluées et développées collectivement). Il est grand temps que le Ministère de la Culture lance un véritable processus de dialogue entre toutes les parties prenantes et cherche des solutions collectives et créatives.

Nous aimerions voir un processus par lequel l'ensemble du secteur (y compris le secteur de la création indépendante) devienne fortement engagé dans le processus de dialogue et contribue de manière significative, non seulement à l'élaboration de la politique culturelle nationale à venir, mais aussi à son soutien et sa mise en œuvre avec toutes les autres parties prenantes - y compris les sponsors et les associations internationales.
 

Pour aller plus loin :